août 22 : Envoûtante Makatea

Oxygen si petit face aux falaises de Makatea

Préambule : Oxygen navigue parfois dans des parages quasi déserts sur lesquels peu de guides nautiques existent, probablement car trop peu de plaisanciers, et nous n’allons pas nous en plaindre…
Aussi ai-je pris l’habitude, près de ma cheminée ou dans mon bain, en métropole, de surfer sur le web à la recherche de récits de voyage.
Je compile soigneusement ces écrits sélectionnés et je me fais ainsi une idée plus précise avant de poser pied à terre.
Je tiens à souligner m’être fortement inspiré de ce que j’ai pu dénicher sur Makatea, et notamment des excellents récits de « into the wind » que je salue et remercie au passage.

Falaise au soleil couchant

Aussi, revenons à Makatea.
Déjà, en guise de clôture de notre escapade de 4 mois dans les Tuamotu cette année, cette dernière étape sera fort appréciée par Oxygen ainsi que par notre ami autrichien Franz sur son catamaran Bright Star qui navigue de conserve.

Lors de notre escale les 4 mooring sont occupés

Aout 22 : 4 moorings disponibles sur la côte NW face à l’unique darse de l’île.
Il est planifié d’installer 6 moorings complémentaires d’ici 2023… Enfin.

La darse et son ponton

Le Street art du ponton de Makatea

Débarquement en annexe dans la darse du port de Temao, récemment remodelée, offrant de très agréables appontements pour s’amarrer à quai en voilier ou en annexe.
En effet, il est utile de souligner qu’avec un tirant d’eau inférieur à 1.50, il doit être possible de rentrer dans la darse (en cata ou mono), en l’absence de houle d’ouest bien entendu.
La largeur permet l’accès aux catamarans.
Si l’intérieur de la darse ne pose aucun problème pour un TE de 1.5 voire plus, il n’en est pas de même pour le seuil d’accès, matérialisé par une bouée W en son nord et deux piquets blancs en son sud. Il semblerait qu’une roche soit positionnée en son centre… profondeur non précisée. Ainsi, il reste indispensable et préférable de réaliser une reconnaissance en snorkeling…
Lors de notre escale, un catamaran de type Bali 45’ passera une nuit à quai.

Falaises et platier de la cote ouest

Mais que diantre Makatea, cette île pittoresque, a donc à nous raconter ?
Rappel : Loin des opulentes Marquises, l’archipel des Tuamotu fait figure de manque et de rareté : en eau douce, en fruits et légumes, en arbres, terre, chemins, relief et altitude.
Constitués de corail, de sable et de cocotiers, les atolls des Tuamotu sont à fleur d’océan et véhiculent, sous un soleil implacable, l’image du Paradis !
A moins d’être un adepte de la plongée ou d’y être né, il nous est difficile d’imaginer passer son existence ici, quoique…
Dernièrement, nous avons ainsi parcouru de magnifiques atolls et la météo clémente voire bienveillante nous octroie la possibilité de faire escale à Makatea. Chouette ! Tentons notre chance…
Ne fait pas escale à Makatea qui veut !
Il faut dire que la conjonction de divers facteurs est nécessaire avant de mettre pied à terre sur cet atoll surélevé constitué de corail, le plus haut du monde, avec son point culminant à 113m d’altitude !

Gradient de turquoise autour de Oxygen

Oxygen sur mooring

Déjà, les conditions météorologiques…
Car en cas de houle de secteur Ouest, il convient de passer son chemin… Insister reviendrait à être amarré sur bouée, à quelques mètres du récif, en plein océan pacifique, ballotté par la houle, je ne souhaite cela a personne tant c’est intenable et dangereux.
Par ailleurs, durant la durée du séjour, les vents doivent rester faibles à modérés et de secteur NE à SE afin de ne pas chahuter la zone de mouillage très peu protégée.
Enfin, ces conditions réunies, il convient qu’un des 4 corps-morts soit disponible pour s’y amarrer car il est impossible de mouiller tant les fonds sont accores !!!
Ajoutez à cela l’éloignement de l’île située à plus de 24h de mer du premier abri, et vous concevez qu’il ne faut pas se gourer dans les calculs et avoir un peu de bol sinon… demi-tour, belote, rebelote et 10 de der !
Vous avez compris, Makatea est un vrai challenge et nous nous réjouissons, lorsque nous y parvenons, au petit jour, qu’un des catamarans, battant pavillon US, dûment amarré sur une des 4 bouées occupées, nous contacte gentiment pour nous informer de son départ imminent. Ouf !
Et l’aventure commence…

Mouss’Isa toute petite…

L’histoire de ce petit paradis donne le vertige.
Heureusement, il reste une poignée d’anciens parmi les quelques 60 habitants de l’île aujourd’hui. Ils ont connus Makatea du temps du phosphate, ils sont partis chercher du travail ailleurs quand le phosphate s’est arrêté, et sont réapparus sur l’île, près de leurs racines, le temps venu de la retraite.
Mémoires vivantes, ils racontent les anecdotes de cette incroyable épopée qui débute en 1908 et s’achève en 1966.
Plus d’un demi-siècle d’exploitation du minerai de phosphate par la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie (CFPO).
C’est aussi la première grande aventure industrielle que la Polynésie a connu.
3000 travailleurs et parfois leurs familles (environ 5000 personnes), chinois, vietnamiens, originaires du reste de la Polynésie des Australes aux Raromatai, mais aussi des tongiens, des wallisiens et bien d’autres viennent passer deux ou trois ans loin de chez eux dans ce labyrinthe de trous que devient rapidement Makatea.

Photos d’archives des travailleurs au bar et de la construction du chemin de fer…

…Témoignage des dures conditions d’extraction du phosphate à la pelle.

Armés de pelles, seaux, pioches et brouettes, épaulés par des locomotives à vapeur et des kilomètres de tapis roulants, ils arracheront à l’île 11,2 millions de tonnes de phosphate en 50 ans.
Le phosphate est extrait sous la forme d’un sable qu’il convient d’arracher à la roche corallienne, L’extraction se fait à la pelle et au seau et des échafaudages sont placés pour descendre dans les alvéoles de corail dont certaines sont profondes de plusieurs dizaines de mètres.

Les machines de l’atelier de mécanique : archive / actuel…

Durant plusieurs étapes entre 1908 et 1950, Makatea prend l’allure d’une cité industrielle avant-gardiste : atelier géant de mécanique, menuiserie, forge, chemin de fer, fonderie, centrale 110-220 Volts.
Ainsi, Makatea découvre l’électricité bien avant Tahiti, incroyable mais vrai !

Locomotive : archive / ce qu’il en reste aujourd’hui…

Pas moins de trois méthodes ont été développées au fil des ans pour charger le minerai sur les bateaux vraquiers. Les images démontrent quelle ingéniosité a été imaginée au final pour construire une gigantesque passerelle tournante pour charger le minerai en un temps record.
Car vous imaginez bien que, l’unique mouillage sous le vent de l’île dépend des conditions météo.

Le four à pain grignoté par la jungle…

Aussi à cette époque, Makatea abrite une vraie ville équipée de centrale téléphonique, station météo, eau courante, bibliothèque, 2 cinémas, billards, hôpital, magasins d’alimentation, boucherie, boulangerie, blanchisserie, terrains de tennis, foot et basket…
Une île blessée dans l’Océan Pacifique.
1966, fin brutale de l’aventure phosphate car la ressource sur Makatea est épuisée. Précisons plutôt que le phosphate concentré à 95% est épuisé, il reste désormais du phosphate moins pur et donc la rentabilité n’y est plus en considérant les coûts de transformation !!!

Les ruines des installations portuaires de chargement des bateaux vraquiers

Evidemment, le matériel et les infrastructures sont purement abandonnés sur place, et les hommes repartent perpétrer le miracle industriel dans d’autres contrées….
A noter qu’au même moment eu lieu la naissance du CEP, comprenez Centre d’Expérimentation du Pacifique, déduisez centre d’expérimentation nucléaire française avec les sites de tirs mieux connus sous le nom de Mururoa, entre autre… et qui dit CEP dit recrutement de personnel qualifié par les militaires… et ainsi les plus qualifiés de Makatea se sont retrouvés dans un autre projet toujours dans l’immense archipel des Tuamotu…
Toujours est-il que Makatea jadis foisonnant de vie se retrouve sans personne du jour au lendemain.

Le sol dévasté après l’extraction du phosphate

Restent quelques familles attachées à leurs terres dévastées et rendues à l’oubli. Reste un sol jonché de milliers de trous, impraticable à pied, stérilisé sur environ 50% de la surface de l’île.
Reste Makatea, le « rocher blanc », une île blessée dans l’Océan Pacifique.
Et dire que depuis 2010 des pourparlers osent se faire jour avec un projet australien d’exploitation du phosphate restant à Makatea…
L’histoire qui veut se répéter !
Nous sommes saisis du passé extraordinaire de l’endroit.
Bref, nous sommes impatients d’aborder Makatea, avec ses falaises, sa flore sous-marine, sa végétation luxuriante, ses chemins escarpés, nous pourrons grimper, marcher, explorer, plonger dans les grottes souterraine d’eau douce… aux Tuamotu !!!

Grotte à l’eau translucide …/… La darse

Dès nos premiers pas exploratoires, la fulgurance expérimentée sur l’île de Pitcairn se reproduit. Outre l’élévation de l’île, la richesse de son sol, la gentillesse des habitants, nous sommes saisis du passé extraordinaire de l’endroit, comme si les affects des hommes qui ont extraits le phosphate du sol s’étaient inscrits dans l’air dans une empreinte indélébile.
Cinquante ans après les faits, nous avons le sentiment d’être des témoins privilégiés de l’histoire de Makatea.
C’est avec curiosité que nous pénétrons dans l’île par la piste empruntant le trajet pentu de l’ancienne zone de monte-charge…

Puis nous poursuivons vers le village actuel qui abritait alors autant de quartiers qu’il y avait de communautés différentes.
En effet, si les travailleurs étaient mélangés en journée, ils se regroupaient par pays d’appartenance pour loger et pour se nourrir, perpétuant ainsi, chacun à leur manière, leur tradition.
Makatea est aujourd’hui un paysage lunaire, truffé d’irréparables trous vertigineux que l’on décompte par… millions.
Or, 50 ans plus tard, la nature a remis un peu de vert dans l’île, surtout des pandanus qui investissent les cavités et jaillissent à la surface comme des polichinelles.
Les vestiges industriels et les bâtiments de l’époque disparaissent peu à peu, colonisés par le vivant, digérés par la rouille et le temps. Il en reste cependant beaucoup et partout.

Ereina et Mata préparent un plat de kaveu / Richard, Colina et leur fille / Cap’tain Syl, Franz et Jean-Marie

Aujourd’hui, une soixantaine d’irréductibles « Makatéens » peuplent l’île. Contrairement à Papeete où il n’est pas possible de vivre sans argent, à Makatea, la vie est distillée par l’île, son ciel fournit l’eau de pluie captée par les toitures et les nombreuses citernes, sa terre donne fruits et légumes, sa mer pourvoit en poissons et son soleil distribue l’énergie grâce à une centrale mixte solaire/diesel.
Pour les quelques indispensables produits finis, 2 épiceries avitaillées une à deux fois par mois par 2 goélettes permettent l’approvisionnement.
Un petit revenu est disponible à travers la culture du coprah ou le commerce des délicieux crabes de cocotier (kaveu).
Certains ont développé des pensions ou encore d’excellentes tables permettant de goûter le fameux crabe de cocotier (kaveu) et les spécialités polynésiennes basées sur les fruits et légumes produits sur place.
Rappel : le phosphate est un engrais…
Nous avons ainsi testé la table de Mata avec émerveillement tant elle sait marier les produits locaux.
Une mairie, une poste, une école au maintien précaire (une dizaine d’élèves sur plusieurs niveaux) complètent le petit village de Vaitepaua, peau de chagrin de l’ancienne cité industrielle.

Cote Est de Makatea / Cap’tain Syl et Tapu

Un peu boulimiques, nous arpentons Makatea en tous sens : découverte de l’imprenable vue sur Moumu depuis la falaise du belvédère, visite du principal site d’extraction du phosphate au cœur de l’île, le puits d’extraction d’eau douce, exploration des grottes et du chemin en balcon serpentant entre les colonnettes de calcaire sur la côte NW, et comme un refrain, les nombreuses baignades dans le lac souterrain, une fenêtre sur la gigantesque nappe phréatique de l’île, unique dans les Tuamotu.
Makatea résiste au progrès.
A sa façon, Tapu, le fils du Maire, contribue au lancement d’un tourisme vert autour de l’escalade. De nombreux sites sont répertoriés sur Makatea pour pratiquer l’escalade que ce soit en mode débutant ou confirmé. C’est une excellente initiative tempérée par les difficultés d’accès à l’île.

La pose de moorings complémentaires pourra faciliter les voiliers à venir plus souvent et aussi booster les offres de charter en bateau, c’est voté.
Mais force est de constater qu’aujourd’hui, avec un accès complexe en bateau et l’absence d’aérodrome, Makatea résiste au progrès, ce destructeur envahisseur dont elle garde à vie les stigmates…
Faut-il s’en plaindre ? Pas sûr.

Le paradis de Jean-Marie et Ereina : potager, volailles…

Makatea dispose aujourd’hui de nombreux atours et atouts.
Déjà, un paysage enchanteur car les millions de cavités sont maintenant recouvertes de végétation.
On peut aisément imaginer transformer les anciens passages de locomotives en autant de chemins de randonnée.
L’île est très vaste et permettrait d’abriter quelques refuges aux extrémités afin d’accueillir des randonneurs plus ambitieux.

Mouss’Isa, Simon et ses kaveu

Et puis il y a cette étonnante ressource qu’est le Kaveu. Ces crabes géants, les plus grands crabes terrestres, se plaisent à Makatea et les ressources sont légion dans les coins reculés moins accessibles par l’homme, son unique prédateur.
Mets délicieux proche de la langouste, le kaveu se chasse de nuit avec des pièges de coco.
Il ne faut pas hésiter à en acheter auprès des locaux car c’est une de leur ressource et nombre d’entre eux en font commerce.
Songer aussi à demander à accompagner les chasseurs pour découvrir le stratagème de pose des pièges en journée et, mais c’est un peu plus contraignant, les suivre en soirée pour aller à la récolte de ces gros crabes colorés et habiles de leur pinces.
Cependant, je vous invite à la plus grande prudence quant à leurs pinces très dangereuses.
Il y a fort à parier qu’un tourisme peut se développer autour de cet animal surprenant qui peut sans sourciller vous découper un doigt de l’une de ses pinces aux mâchoires insoupçonnablement puissantes !

Platier de la cote Ouest

Enfin, les activités liées à l’océan magique environnant l’île sont légion :
Pêche à la ligne, pêche au gros, pêche sous-marine, plongée….
Les langoustes sont curieuses et viennent la nuit contempler le platier de Makatea…
C’est ainsi que nous décidons d’accompagner un local, pêcheur de langoustes, pour une excursion sous-marine en soirée.
Départ depuis Oxygen à 19h à bord d’une barque alu de Makatea…
Et, grâce à nos conditions météo exceptionnellement calmes, direction le récif avec les lampes torche…
4 plongeurs, 2 heures de pêche, au moins 2 miles parcourus à la palme et une quinzaine de langoustes au tableau.
Cela démontre si besoin était que la ressource s’épuise année après année…
Je suis ravi de cette expérience mais je souligne qu’il faut être sacrément motivé pour s’immerger dans l’eau par nuit noire ! Avis aux amateurs… les langoustes furent excellentes !
Grace à la darse désormais moderne et pratique pour débarquer ou accueillir le temps d’une visite les passagers des cruise ship, de l’Aranui, du Ponant ou bien tout simplement des voiliers, il semble acquis qu’un essor de l’activité touristique est de mise à Makatea.

Ainsi, cette perle du Pacifique parviendra peut être à faire accepter l’idée que ce qu’elle a de mieux à offrir est déjà là : une vie simple en harmonie avec la nature, loin du stress et des besoins inutiles du monde moderne.
L’heure est venue de larguer le coffre pour rallier Moorea située à 135nm soit environ 18/20h de navigation, portant !
Il est 5h du mat et au réveil, je distingue un catamaran en attente d’un coffre sur zone. Je l’appelle afin de lui signifier notre départ imminent et nous faisons un heureux…
Reste que si venir à Makatea est challenge, en repartir peut devenir riche en missions diverses…
Ayant annoncé son départ pour Moorea, Oxygen accepte de transporter du fret pour rendre service à un local.
Aussi, pas moins de 40 kgs de Kaveu, emballés individuellement façon traditionnelle et en caisse fermée, seront acheminés à Moorea et dûment débarqués à l’intéressé.

Henri et notre chargement de kaveu à bord !

Dans un autre registre de service rendu en l’échange de bons conseils, le jeune pêcheur de langoustes met son sac à bord pour rallier Moorea…A 19 ans, il part sur Tahiti pour intégrer une école et apprendre un métier.
C’est ainsi dans les îles et partout en Polynésie, l’entraide et le troc sont souvent de mise pour se déplacer, tant les moyens conventionnels sont rares et chers, voire inexistants !
Nous reviendrons à Makatea !